L’architecte de Parc 17 nous a reçu pour une interview exclusive. Il nous a raconté la naissance du bâtiment, confié les contraintes du projet, révélé ses choix artistiques.
Un entretien passionnant avec le « père » de notre futur immeuble.
Francis Soler est un architecte renommé pour avoir réalisé des équipements publics et des immeubles d’habitation ambitieux. Il a reçu le Grand prix d’Architecture, en 1990. Il s’est distingué, par exemple, par son travail sur le Ministère de la Culture, rue des Bons-Enfants, avec sa résille d’acier. Autre réussite : son immeuble de logements sociaux, colorés de sérigraphies, rue Durkeim, près de la BNF, à Paris. Entre autres.
Quelle est la genèse de votre projet à Clichy-Batignolles ?
C’est déjà une histoire ancienne pour moi. Un premier promoteur, autre que Vinci, m’avait interrogé car il voulait acquérir cette petite parcelle. La dimension de la parcelle, c’est la dimension du bâtiment. C’est très inhabituel. On a zéro espace autour, donc c’est assez compliqué. J’avais donc déjà fait une étude, un ou deux ans avant que Vinci ne s’y intéresse. Cette étude de définition permettait de voir comment on pouvait utiliser cette parcelle coincée entre le mur de l’hôtel Ibis et le parc. Avec les contraintes que la ville avait fixées, cela limitait la parcelle à 10-12 mètres d’épaisseur, ce qui, aujourd’hui, n’est pas très rentable car un bâtiment de logements se fait habituellement sur 14 mètres d’épaisseur.
Dans un bâtiment, il y a toujours les parties fixes. Il faut un escalier, un ascenseur, des gaines techniques, des gaines de montée, des gaines de ventilation… Maintenant, ces parties dites communes deviennent de plus en plus importantes à cause des règlements handicapés, de sécurité… Donc, ces parties techniques, ça prend de la place. La difficulté, c’est que la parcelle nous imposait un gabarit. En ce moment, je fais un projet sur le plateau de Saclay pour EDF. J’ai 8 hectares où je peux faire les formes que je veux, je peux monter, je peux descendre, je peux m’étaler… Avec Parc 17, j’avais une largeur, une longueur et une hauteur définies. A partir de là, une fois que vous avez mis les parties fixes, il reste ce qu’on appelle du « gras ». C’est ce que vend le promoteur. Et dans ce bâtiment, le gras est très faible.
Dessin Francis Soler – Premier projet Parc 17
Pour la petite histoire, le bâtiment, avec lequel on a gagné le concours, faisait 9 étages et non pas 11, comme aujourd’hui. Ce premier projet de bâtiment était extrêmement dense. C’était une barre pleine où il n’y avait pas de terrasses. Il n’y avait que des appartements autour de deux cages d’escalier. Il s’avère qu’après avoir gagné le concours, on a commencé à dialoguer avec la Ville. Les remarques d’Anne Hidalgo, c’était : « Je ne veux pas de barre. Ce bâtiment me rappelle trop mes jeunes années dans les banlieues. Trouvez-moi des éléments qui me permettent d’avoir de la transparence, de la fluidité, de l’espace… ». Moi, j’étais forcément d’accord, mais il fallait penser au promoteur qui devait équilibrer son budget avec un bâtiment tout fin. On est avec lui pour trouver un équilibre architectural confortable pour les habitants et en même temps le rendement du projet. Nous avons donc fait six ou sept propositions successives jusqu’à arriver à celle d’aujourd’hui avec des percées qui permettaient des transparences sur les loggias. Mais, du coup, on perdait des mètres carrés. Donc, tout ce que l’on avait perdu avec les terrasses, il a fallu le retrouver en faisant deux étages de plus. Il fallait retrouver un équilibre économique. Avec les terrasses, on augmentait les linéaires de façade. Un bâtiment en façade pleine, comme le premier projet, coûte moins cher qu’un bâtiment qui a des percées. C’est plus difficile à construire, à isoler… Surtout avec les contraintes énergétique de la Ville qui sont très draconiennes. Il faut être dans le HQE, dans le Plan Climat, c’est très compliqué à régler. Il nous a fallu deux ans pour régler tout cela et retrouver un équilibre économique.
Au final, je trouve que toute cette confrontation a été très utile. Cette « battle », comme on dit aujourd’hui, entre la Ville et Vinci a abouti à un équilibre, qui est le bâtiment que vous connaissez. Je préfère nettement ce bâtiment avec ces deux percées.
Une des particularités de ce bâtiment est qu’il va être beaucoup vu. Vous avez pris en compte ce regard des gens depuis le parc ?
C’est évident. Sur la façade Sud, on a choisi des éléments entièrement vitrés, ouverts sur le parc. Il y a une différenciation entre le bas et le haut. La partie haute est en relation avec le ciel avec des grands garde-corps en verre et la partie basse est plus complexe avec des garde-corps en tube inox et des éléments sérigraphiés. C’est pour une question de confidentialité. J’ai pris conscience que le bâtiment allait être vu du parc. Les quatre premiers niveaux sont plutôt planqués derrière les sérigraphies. Ainsi, les gens, dans ces étages inférieurs, vont pouvoir voir dehors sans qu’on les voit chez eux. Par contre, à partir du cinquième étage, le verre va refléter le ciel et vous ne verrez jamais dans les appartements. Plus vous monterez, plus le reflet masquera l’intérieur.
C’est tout un travail de mise en scène qui permet de maintenir la confidentialité des appartements bas par rapport au parc. Dans une rue, je n’aurais pas fait ça. Par rapport au haut, on essaie de rendre le bâtiment plus évanescent avec des garde-corps vitrés, purs.
Le travail à l’arrière du bâtiment est plus opaque, car la relation à l’hôtel Ibis n’est pas formidable. Les fenêtres sont plus fermées pour que les clients de l’hôtel ne puissent pas voir dans les appartements et que, dans l’appartement, on ne voit pas l’hôtel.
La sérigraphie en façade, c’est quelque chose que vous avez déjà utilisé dans les immeubles d’habitation de la rue Durkeim, face à la BNF, et allée Paul Signac, à Clichy. Pourquoi aimez-vous mettre des sérigraphies sur les surfaces vitrées ?
Vous savez, je suis un Méditerranéen. J’aime bien avoir un maximum de lumière et, en même temps, je ne souhaite pas être vu dans mon intimité. Voir sans être vu, c’est toujours le problème dans le Sud. Donc, le moucharabié moderne, c’est la sérigraphie. D’abord, parce que cela teinte le sol, les éléments. Cela permet d’être chez vous, de voir dehors, sans être vu. Et puis, cela permet de raconter une histoire. Les bâtiments ont toujours été des supports à conter des choses, à raconter des histoires.
Immeuble d’habitations avec sérigraphies, rue Durkeim, Paris 13
Vous avez dit qu’un bâtiment doit être « beau et avoir du sens », l’utilisation de la sérigraphie, c’est dans cette logique ?
Oui, on n’est pas dans la banalisation de l’ouvrage. Moi, je ne suis pas un architecte qui construit énormément. Je construis peu de choses, mais j’essaie de les faire bien. A chaque fois, ce sont de petites œuvres. Je dis souvent qu’un bâtiment cesse d’être un ouvrage pour devenir une œuvre à partir du moment où il cesse d’appartenir à son auteur pour appartenir à ceux qui le prennent en main. C’est ainsi que j’ai conçu le ministère de la Culture avec la résille métallique sur sa façade à Paris. La rue Durkeim, c’est la même chose. 95%, voire 100% des habitants à qui on a demandé s’ils souhaitaient que l’on retire la sérigraphie ont répondu non. Car ils considèrent que cela leur appartient, que cela fait partie de leur chez eux. Il y a une identification, une appropriation importante alors qu’au début j’ai été traité de fasciste, de communiste, car j’imposais ma vision aux gens. Je leur expliquais que c’était des émaux transparents, des images. Les personnes mettent biens des petits rideaux à Vichy chez eux. Ce que je veux moi, c’est homogénéiser les petits rideaux à Vichy en leur donnant un sens. Cela a été difficile à faire passer. Maintenant, c’est dans la culture des gens. Tout le monde met des résilles partout. Tout le monde met de la sérigraphie partout. Il faut du temps, c’est tout.
Mon idée à l’origine était de mettre en option les deux garde-corps, sérigraphiés ou transparents. Le bâtiment aurait été dessiné par les acquéreurs. L’œuvre serait devenue collective, complètement aléatoire. Mais, pour la commercialisation, c’était trop compliqué.
Vos choix artistiques ont-ils été compris par le promoteur ?
Le promoteur aurait peut-être préféré qu’il n’y ait pas de sérigraphies du tout, car ça peut être une contrainte à la vente. Vinci s’inscrit, aujourd’hui, dans les promoteurs à la fois prudents et contemporains. Ils font travailler des architectes renommés comme Dominique Perrault, Anne Demians, la star du moment (c’est elle qui fait le bâtiment de bureaux en forme de TGV près de Pereire 17), Stéphane Maupin, un jeune architecte talentueux qui fait Pereire 17. Ils font aussi travailler Bocabeille Prego sur Cardinet 17.
Ils ont donc cette envie d’architecture contemporaine, mais ils peuvent se faire rattraper par des préoccupations commerciales, la peur que les clients ne veulent pas des sérigraphies et les fassent enlever. Dans le privé, ils essaient de se mettre dans la tête des gens qu’ils pensent être intéressés.
Comment intervenez-vous une fois que le chantier a débuté ?
Depuis que le chantier a démarré, nous le suivons de près avec mon équipe. Nous sommes en contact avec les entreprises qui ont des dossiers très précis qui couvrent tous les sujets. Sur place, il y a un conducteur d’opérations, un ingénieur centralien, plus d’autres experts. Nous avons la mission complète : étude, suivi de travaux et livraison. Ce qui devient de plus en plus rare, car les promoteurs dans le privé ont parfois tendance à prendre des architectes pour dessiner les projets et à les éjecter ensuite pour la construction.
Nous, on cherche à donner aux acquéreurs la chose la plus près possible de ce que l’on a proposé, de ce que l’on a dessiné. Comme, dans notre agence, nous sommes très techniques, nous pouvons aller jusqu’au bout.
Quel regard portez-vous sur la ZAC ? Sur l’aménagement et les bâtiments ?
Moi, je trouve ça bien. C’est moderne, aéré. On est dans un urbanisme proche de celui qu’a fait Jean-Pierre Buffi le long du parc de Bercy et qui est une grande réussite à Paris. Ce sera la même ambiance, particulièrement du côté Nord de la ZAC où se trouvera Parc 17. Par contre, du côté Sud, entre le parc et les voies ferrées, il va manquer d’aération et d’espace entre les bâtiments. Cela risque de faire un peu « foire expo »…
Comment voyez-vous l’arrivée de la Cité judiciaire avec le bâtiment signé Renzo Piano ?
C’est très bien. Avoir un équipement de cette envergure, près de chez soi, c’est un élément majeur. De plus, avec Renzo Piano, on est dans la même écriture, dans la même famille de pensée, dans la même modernité, un peu sensible, subtile, travaillée. Ce n’est pas seulement de la baie vitrée. Il y a tout un travail sur les épaisseurs et la perception. Renzo Piano est l’un des architectes que je regardais le plus dans les années 80. C’est à la fois un technicien et un sensible. Ça se voit, par exemple, avec le Centre culturel Jean-Marie Tjibaou, qu’il a fait à Nouméa.
Il y aura une cohérence, un dialogue, entre Parc 17 et la Cité judiciaire de Renzo Piano, même si son projet est postérieur au mien. Entre les deux, il y aura un autre bâtiment dans le même esprit, celui Manuel Gausa, un architecte espagnol, un ami à moi, qui va faire les immeubles de logements pour la Cogedim, à l’Ouest, juste à côté de Parc 17.
Nous remercions chaleureusement M. Francis Soler de nous avoir accordé du temps pour répondre à nos interrogations. Il s’est montré d’une grande disponibilité pour nous confier ses desseins pour Parc 17. Nous espérons que d’autres rencontres avec lui et son équipe nous permettront d’accompagner, en connaissance de cause, la sortie de terre du bâtiment.